Ce texte est placé sous les auspices du Choeur de l’abbaye du Mont Saint Michel, l’une des sept merveilles du monde de notre temps, lieu de pèlerinage ininterrompu depuis près de 1000 ans.
“Apporte-t-on une lampe pour la mettre sous le boisseau, ou sous le lit? N’est-ce pas pour la mettre sur un chandelier? Car il n’est rien de caché, qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive être mis au jour. Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende.” St Marc IV 21-23, St Matthieu V 15, St Luc XI 33.
L’énumération de citations, ne peut suffire à étayer une argumentation, ou à justifier l’inspiration du moment. En conséquence, la référence aux grands esprits passés, doit être considérée comme un éveil, et un rappel, que les mêmes causes produisent les mêmes effets, à des siècles de distance.
L’esprit et la matière ne sont rien l’un sans l’autre, tout comme l’Intelligence n’est rien sans la Sagesse. Autrement dit l’énergie ne peut rien manifester sans la substance et la conscience!
Nous traversons une période portant bien des similitudes, avec ce qui fut déjà, aussi bien dans l’histoire récente, que dans des temps anciens. La doxa (ensemble des opinions reçues comme évidentes, sans discussion), interdit l’hétérodoxie, c’est-à-dire le fait d’émettre des opinions différentes, de la pensée ambiante.
Dans ces moments de l’histoire, qui ont vu “la pensée unique” dominer les esprits, le monde a basculé dans l’anéantissement. Peu importe le domaine concerné, culture, spiritualité, croyances, sciences; lorsque surgissent l’accusation, puis l’interdiction de penser différemment, la société vacille.
L’humanité s’est développée selon les schémas d’une dualité stéréotypée: global/local, nomade/sédentaire, chercheur/explorateur, esprit/matière, monde d’En-Haut/monde d’en-bas, Tradition/scientisme, maître/esclave, dominant/dominé, épicuriens/stoïciens etc. Cette dualité, devenue opposition, puis confrontation et enfin conflits, a engendré une lente dégradation de la pensée spirituelle, aujourd’hui largement dépourvue d’une éthique de la Vie.
Pourquoi? Parce que nous avons refusé de cohérer les contraires, afin de retrouver l’unité de la vie, de la création, de l’univers, à l’image du schéma du Ying-Yang, et de tous les symboles spirituels, représentant les forces de la création. Ils sont TOUS circonscrits et entrelacés dans un cercle, unité parfaite de la représentation secrète de Dieu.
C’est peut-être une des raisons pour laquelle, des communautés dans toutes les nations du monde, n’ont jamais cessé, et encore aujourd’hui, de prier, méditer, chanter, louer, Dieu (quel que soit le Nom qui lui fût donné), retrouvant inconsciemment cette unité perdue de la Création.
Mais parallèlement, nous enseignons inlassablement l’art de la guerre à nos enfants, perpétuant le meurtre sans fin de la Divinité, qui demeure en nous.
La guerre, un sujet dramatique et fort sensible! Ne dit-on pas: “Les guerres sont une nécessité au progrès”, et bien sûr, “Igitur qui desiderat pacem, praeparet bellum”, formulation plus connue sous la fameuse injonction: “Si vis pacem, para bellum,” : si tu veux la paix, prépare la guerre! etc. La litanie des commentaires justifiant la guerre, a rempli des livres…et des rivières de sang. Nous avons même conçu “un Art de la Guerre”. Ainsi un certain parti de la guerre domine l’humanité depuis la nuit des temps, et les pacifistes ont eu peu de succès!
Cependant, si nous sommes attaqués, n’est-il est pas évident, de nous défendre, et d’accomplir ainsi notre devoir? Les conflits ont d’ailleurs fait surgir des héros, dont les actes exceptionnels ont été des modèles d’abnégation, de dépassement de soi, jusqu’au sacrifice de leur vie, non point seulement pour combattre un ennemi, mais pour protéger leurs congénères ou leurs frères d’armes, dans des situations extrêmes.
Nous l’avons dit, le sujet est très sensible, et il n’est pas question ici de porter un jugement, d’opposer, de condamner, ou de justifier quoi que ce soit. Par contre, l’évolution actuelle du monde, semble rendre absolument nécessaire, une profonde réflexion sur ce que nous sommes devenus. Cela impliquera, de nous interroger sur le devenir de la nature humaine, sur la signification de la vie, que nous pérennisons depuis des millénaires, sur notre planète bleue!
Il y a deux manières de vivre, ou bien selon la Loi du Ciel, ou bien selon la nature.
Hésiode (Fin du VIIIème ou début du VIIème siècle avant J.C.) exposait fort bien la situation de l’homme: “Telle est la loi que le fils de Saturne a imposée aux mortels. Il a permis aux poissons, aux animaux sauvages, aux oiseaux rapides de se dévorer les uns les autres, parce qu’il n’existe point de justice parmi eux ; mais il a donné aux hommes cette justice, le plus précieux des biens.”
Vivons-nous aujourd’hui seulement selon la nature, au sein de laquelle “les gros mangent les petits, et les plus forts écrasent les plus faibles”?
À ce point de l’exposé, je voudrais citer la sublime doctrine de Bouddha, dont la Voix des Sermons nous enseigne:
“En vérité, ce n’est jamais par l’hostilité que l’hostilité est apaisée ici-bas, c’est par l’absence d’hostilité qu’elle est apaisée; telle est l’antique loi. De celui qui dans la bataille, a vaincu mille milliers d’hommes, et de celui qui s’est vaincu lui-même, c’est ce dernier qui est le plus grand vainqueur.” Extrait des stances gnomiques, relatives à la voie qui mène à la cessation de la douleur.
Autre citation, datant de 2700 ans, extraite de la strophe 9 de la Gatha Vahishtoïsti LII de Zaraϑuštra (Zarathoustra).
“Par ses doctrines perverses, le méchant répand la haine, et fomente la révolte, blessant ceux qui T’appartiennent et répandent Ta justice, qu’il voudrait exterminer. Mais lui, et ceux qu’il entraîne, sont des criminels sans nom! Où est le chef courageux, qui brisera leur emprise, qui vaincra leurs entreprises, maintenant, à tout jamais? Ô Pouvoir Divin Suprême, Seul vrai Maître de ce monde, accorde enfin la victoire, aux humbles, dont l’existence s’inspire de Pureté, Foi, Justice et Vérité”!
Voici maintenant un autre thème sensible:
Si nous considérons les Évangiles en tant que chrétiens, nous sommes supposés suivre l’Enseignement de Jésus, non pas comme une morale de circonstance, ou comme un temps religieux de la semaine, accordé à la réflexion dans une Église ou dans un Temple, non! Nous sommes appelés à découvrir l’Essence secrète des Évangiles, à la vivre par nos pensées, nos paroles et nos actes. Nous sommes supposés suivre une route de vérité, de bonté et de justice, fuyant le mensonge, l’hypocrisie, et toutes les manipulations de l’histoire. Nous nous trouvons toujours des excuses pour ne pas agir avec authenticité, avec loyauté intérieure, dans les circonstances où un vrai chrétien œuvre à régénérer le monde, et non pas à le dominer ou à le rabaisser.
Dans l’histoire du monde, des milliers de femmes et d’hommes, se sont engagés dans la voie de l’élévation, au prix de leur vie. Pourquoi au prix de leur vie? Pourquoi cette haine de ce qui est bon, vrai et juste?
Maître Philippe de Lyon, 25 avril 1849-2 Août 1905, (Cité à plusieurs reprises dans l’E-Book La Voie du Trait), affirmait: “Le matérialisme détruit tout équilibre dans la vie de l’homme hors de chez lui, c’est-à-dire dans ses relations avec ses semblables. Au nom de la raison, on détruit la logique, on dit aux hommes qu’ils ont des droits, mais on ne leur souffle mot de leurs devoirs; on leur affirme qu’ils sont libres en les couvrant de chaînes, on les déclare souverains en les rendant serfs. Quant-à la vie de l’homme dans son foyer, est-elle ce qu’elle était autrefois? Ne cherche-t-on pas à détruire le foyer, la famille?”(Page 107. Révélations. Entretiens Spirituels sur le Maître Philippe. Par Michel de Saint Martin. Préface du Docteur Philippe Encausse. Editions Dangles 1953).
Il est impossible aujourd’hui de regarder le monde avec optimisme ou pessimisme. De grandes forces mènent depuis bien longtemps, un combat acharné contre l’âme humaine. Chacun de nous doit réfléchir où se situer dans cette lutte, (je suis là où est ma conscience), pour accueillir, par nos devoirs et avec nos droits, la lumière initiale de notre âme (celle reçue en venant au monde), actuellement submergée par la géhenne d’absurdités que nous traversons, dont l’issue est connue de Dieu Seul.
Pour traverser cette adversité, Bouddha a vécu et transmis le noble octuple sentier: 1 la vision juste, 2 la pensée juste, 3 la parole juste, 4 l’action juste, 5 les moyens d’existence justes, 6 l’effort juste, 7 l’attention juste, 8 la concentration juste.
Au cours de ce VIème siècle exceptionnel, avant Jésus Christ, qui vit donc naître Bouddha, d’autres grands esprits vinrent fleurir la pensée humaine, pour la faire rayonner d’une lumière, qui brille encore aujourd’hui: Pythagore, Thalès de Milet, Pittacos de Mytilène, Lao-Tseu, Confucius, Zarathoustra, les Maîtres du Brahmanisme.
Ainsi nous avons toujours reçu les secours de l’Esprit, afin que l’âme humaine poursuive son œuvre d’élévation, et celle du monde.
Mais les manipulations, les amalgames et les instrumentalisations de toutes sortes, nous ont détournés de ce qui devait être réalisé par l’Enseignement Christique. Ainsi, nous entendons parler de mondialisme, de gouvernement mondial! Mais pourquoi faire? Pour converger vers quel idéal?
L’attente messianique universelle, au sein de toutes les spiritualités, est en passe d’être supplantée par un messianisme scientifique.
N’avions-nous pas déjà de nobles préceptes de gouvernance, par exemple dans 7 des 10 commandements? Pourquoi seulement 7? Simplement afin d’associer les non croyants dans cette réflexion, puisque les 3 premiers commandements concernent la relation entre Dieu et l’homme.
Ainsi, dans l’absolu, est-ce inacceptable ou intolérable d’honorer nos parents, de ne point tuer, de ne point voler, de ne point commettre d’adultère, de ne point convoiter la maison ou la femme de son prochain etc?
Je vois naturellement surgir les sarcasmes: – tout cela est dépassé, – cela n’a jamais fonctionné – c’était pour instaurer une morale à des peuples qui n’en avaient pas – ce ne sont que des superstitions pour se rassurer en rapport à un éventuel au-delà, ou bien ce sont des conditionnements pour dominer le monde, ou encore cette morale nous a empêchés de jouir librement de la vie etc, et enfin: – C’est bien la science, qui nous sauvera, et nous affranchira définitivement de tous nos errements!
Voici alors quelques simples réponses: – les enseignements spirituels authentiques sont présents dans l’âme humaine, au-delà des religions. L’homme est ainsi libre, et seul responsable, d’accepter ou de refuser ce que sa conscience lui dicte. – Au Royaume de Dieu, personne ne peut dominer personne, mais seulement aider. – Par ailleurs chaque fois que nous faisons l’effort de nous élever par une pensée, une parole, un acte, nous envoyons en nous-même, un peu de lumière, qui rejaillit sur le monde. Et lorsque nous nous sommes égarés, et que nous faisons l’effort de nous relever humblement, pour reprendre notre route, cette lumière sur le monde est décuplée. Enfin il faut le redire: l’intelligence n’est rien sans la Sagesse!
La misère humaine a toujours été présente, mais elle revêt aujourd’hui des dimensions insoutenables.
Que faire pour bien faire, comment faire pour bien faire, autrement que par des mots!
Eh bien, nous pouvons déjà prendre des décisions très simples. Par exemple, sommes-nous seulement capables pendant deux semaines, de ne prononcer aucune parole négative envers qui que ce soit. (Dire du mal de quelqu’un, porter des jugements à tort et à travers etc)?
C’est ce que demandait Maître Philippe de Lyon, à la nombreuse assistance des déshérités, des malheureux et de toutes les personnes, qui frappaient à sa porte, en permanence. Chacun devait faire un effort sur soi, prendre un engagement bien précis. Pour accompagner l’œuvre de guérison d’une personne, Maître Philippe demandait à l’assistance, de s’engager solennellement, à ne dire du mal de personne pendant deux semaines! Amis lecteurs faisons le test…
Chacun de nous porte une part de l’âme du monde. C’est là, un des aspects de la fraternité véritable. C’est une réalité, qui nous relie à notre nature, par rapport à l’illusion des idéologies et des conditionnements de toutes sortes, qui nous opposent les uns aux autres. Cette réalité surgira un jour du plus profond de nos coeurs, à savoir: chaque être humain est unique, il progresse dans les voies de la communauté, dans laquelle il est venu au monde, mais il appartient au grand Tout de l’humanité. (Ce qui n’a rien à voir avec le globalisme, qui éteint les individus).
La pensée se manifeste dans l’espace et le temps, mais elle n’en subit pas les contraintes. Quant-à l’âme, elle est hors du temps et de l’espace, et pourtant, elle est partout! Ainsi notre pensée et notre âme peuvent rayonner en tous points de l’univers, et embrasser le monde.
Il nous appartient donc d’apprendre à penser juste, avec compassion, et d’agir en conséquence, en commençant par transmettre à nos enfants, une éducation digne de ce nom, source indispensable à l’éveil de l’âme, elle-même canal de la conscience.
Nous sommes ici, non point pour nous dominer les uns les autres, mais pour nous entraider à vivre, et à comprendre qui nous sommes, et pourquoi nous sommes dans ce monde!
Il existe certainement une voie à redécouvrir, qui nous permette d’assumer notre condition humaine, au-delà de toutes les spiritualités, au-delà de toutes les croyances.
Cette voie accorde à chacun le droit de penser, de croire, de selon ses convictions, et de les vivre individuellement, dans son foyer. Des communautés peuvent naturellement se réunir autour des idées, que leurs membres partagent.
Mais au sein de la société, personne ne peut projeter sur quiconque, ou imposer à qui que ce soit, une croyance, ou une spiritualité. Nous pouvons dialoguer, échanger nos réflexions, mais ne jamais imposer notre foi ou notre loi spirituelle!
Ce dont nous avons besoin pour vivre harmonieusement les uns avec les autres, c’est d’une Éthique de la vie, basée sur des valeurs universelles, comme par exemple le respect, la vertu, le devoir, qu’il convient de bien comprendre, au-delà du sens premier. Ce sera le prochain article de La Voie du Trait.
“Le monde s’est fait vieux, une immense espérance a traversé la terre, malgré nous vers le ciel, il faut lever les yeux.” Alfred de Musset